MomOut family

Flavie: « j’ai géré mon deuil périnatal grâce au sport. »

L’histoire de Flavie, qui a géré l’ingérable en se raccrochant au sport, et à la course à pied.

5 juin 2022

J’aurais dû être en train de récupérer de mon accouchement quelques jours plus tôt, mais je m’élance à deux heures du matin sur un parcours de trail de 80 kilomètres. 5 juin 2022, c’était la date du terme de ma grossesse, mais je n’ai pas de bébé à bercer. À la place, j’ai un faire-part plastifié sur mon camelback avec deux petites empreintes de pied. Le 11 février de cette année, j’ai mis au monde un petit Lucien qui n’a jamais ouvert les yeux.
Je n’arriverai pas au bout de ces 80 kilomètres ce jour-là. J’abandonnerai au 60e : un abandon qui me paraîtra très amer, le premier de ma vie, mais ce que j’ignore alors c’est que le petit frère de Lucien vient de se loger dans mon ventre en même temps que je viens de contracter la maladie de Lyme ( mais c’est une autre histoire).

« 5 juin 2022, c’était la date du terme de ma grossesse, mais je n’ai pas de bébé à bercer. »

Retour en juillet 2021.


Je viens de terminer mon objectif de l’année, mon premier 12 heures en course à pied, que j’achève avec une belle marque à 108,8 kilomètres.

C’est décidé : je fais une pause compétition pour avoir un enfant avec l’homme qui partage ma vie depuis 2 ans. Début septembre, la deuxième fameuse barre apparaît sous mes yeux incrédules. Il faut dire que j’avais attendu 3 ans et un parcours PMA pour concevoir mon premier fils issu d’une précédente union. À l’époque, j’avais alors stoppé la course au deuxième mois puisqu’on m’avait prédit un risque de déchirure des grands droits « trop musclés ».

Pour cette nouvelle grossesse j’aimerais courir le plus longtemps possible : tout se déroule à merveille. Même cette vilaine douleur à la hanche contractée suite à une séance de pliométrie un peu trop violente après mes 12 heures semble s’être évaporée dans l ‘enthousiasme de cette nouvelle aventure. Je déroule donc les kilomètres, y compris en compétition, en prenant en considération mon nouvel état. Malgré les habituels tracas du premier trimestre je suis dans une forme resplendissante et aucun nuage ne s’annonce à l’horizon. A l’échographie du premier trimestre, on nous annonce une clarté nucale un peu élevée, bien que dans la norme, et finalement tous les examens reviennent sans particularité.

Je continue donc ma routine sportive hebdomadaire avec une quarantaine de kilomètres en course et parfois une centaine de kilomètres sur mon home trainer grâce à l’application Zwift. Je monte même sur un podium au mois de novembre.

12 janvier 2022

C’est l’échographie du deuxième trimestre. Je suis toujours un peu stressée, je suis pragmatique, mais ne dit-on pas qu’après le premier trimestre, tout va bien ?

La sage-femme nous annonce alors assez froidement qu’elle observe un déséquilibre entre les cavités cardiaques de notre bébé. Le compte-rendu fait également mention d’un petit gabarit et d’une artère ombilicale unique. Elle appelle de suite un obstétricien et un cardiopédiatre spécialisé à la sortie du rendez-vous. Quelque chose en moi se brise, intimement, je suis convaincue que je vais perdre cet enfant. J’ai beau retourner les clichés, je ne reconnais pas l’anatomie de son cœur.

Je ralentis à peine ma pratique sportive. J’épingle d’ailleurs un dossard le dimanche suivant sur 6km. C’est la phase de déni, de fuite en avant, le sport devient l’échappatoire, l’instrument de ma survie mentale. Le jeudi suivant je vois l’obstétricien que je connais très bien car il avait mis au monde mon premier garçon par césarienne. Je lui parle d’interruption médicale de grossesse, il ne me contredit pas, me fait compléter quelques documents pour que mon dossier passe en commission spéciale et me met immédiatement en arrêt maladie. Cette fois, j’en suis certaine, je ne tiendrai pas cet enfant vivant dans mes bras. Étrangement, je lui parle aussi de sport et il m’encourage à continuer : «  Tout ce qui vous fait du bien, fait du bien à votre enfant ». Le lendemain, le couperet tombe. Le cardiopédiatre nous annonce une malformation inopérable, une espérance de vie réduite, des opérations palliatives très risquées, une « affection de particulière gravité » qui nous ouvre le droit de recours à une IMG.

Comment se décider ? Comment signer les papiers qui mettront fin à la vie de notre bébé quand on le sent si épanoui dans nos entrailles ? Qui sommes-nous pour juger de la valeur de la vie ? Comment le laisser partir sans lui dire que je l’aime? Dois-je interrompre cette grossesse ou opter pour des soins palliatifs?

Pour réfléchir à tout cela, je continue à courir. Courir me permet de penser, de mettre mes idées au clair, et aussi de ne pas mettre fin à mes jours. Nous demandons un second avis à l’hôpital Necker, le meilleur pour la prise en charge de ces pathologies : le verdict est sans appel, il n’y a aucun espoir même avec des progrès chirurgicaux dans les années à venir.

Quand on t’arrache ton enfant avant la naissance, plus rien n’a de sens. La mort in utero, c’est l’antithèse parfaite du sens de la vie. L’interruption médicale de grossesse, c’est cette épreuve qui te fait choisir un cercueil pour l’enfant que tu sens bouger au creux de toi.
Courir a pris alors une autre dimension. J’ai décidé de courir pour tous les kilomètres que mon fils ne ferait jamais. Vivre sans rien gâcher du temps que l’on nous offre, c’est ce que l’on doit à nos enfants qui meurent avant leur premier souffle.

Podium du dernier dossard enceinte de Lucien.

« J’ai décidé de courir pour tous les kilomètres que mon fils ne ferait jamais. »


J’ai décidé de commencer ma préparation pour cette fameuse course du 5 juin avec Lucien encore au chaud. L’ironie du sort fait que mon dossard, après deux années de report pour cause de Covid, n’avait pas trouvé repreneur. J’ai couru le jour où j’ai pris les médicaments pour préparer le déclenchement.
J’ai couru le jour où je suis entrée à la maternité. Quatre jours plus tard, j’étais de nouveau dans mes baskets. Un mois plus tard, j’enchainais ma première compétition de 27 km, puis 55 km et puis le 5 juin est arrivé, l’abandon, les deux nouvelles barres roses.

Podium un mois après la naissance de Lucien

« Pour réfléchir à tout cela, je continue à courir.« 


Le 16 février 2023

J’ai mis au monde un petit Camille en pleine santé. Mon dernier dossard de cette grossesse était aussi le dernier dossard que j’avais porté avant d’accoucher de Lucien. J’ai fait beaucoup de compétitions et de kilomètres durant ces neuf mois mais la course à pied garde chez moi un lien particulier avec mon bébé décédé.
Je cours environ une heure par jour et quand je fais une compétition, je pense toujours à Lucien avant tout le reste. Au-delà de la routine sportive, c’est le sentiment de passer du temps en communion avec lui puisque comme Victor Hugo le disait au sujet de sa fille adorée perdue au cours d’une noyade : «  Tu n es plus là où tu étais mais tu es partout où je suis ».

En septembre, je serai à nouveau sur un 100 kilomètres avec le badge au prénom de mon fils pour lui mais aussi pour donner de la visibilité au deuil périnatal et un espoir pour ceux et celles qui traversent ce drame : non, on n’oublie jamais nos enfants et la douleur abominable de leur mort, mais oui, on s’en relève et on peut à nouveau toucher la joie en abritant leur souvenir au creux de nous.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *